Le théâtre et l’importance des gestes dans l’apprentissage

Une dimension importante de l’apprentissage d’une langue étrangère, que l’on soit enfant ou adulte, est la « théâtralisation » ou la mise en scène du contenu. Pourquoi ?

Premièrement, le fait de jouer une scène, par exemple la présentation d’un ami, ou un achat en magasin, plutôt que de la regarder sur une vidéo ou de la lire dans un texte écrit, implique beaucoup plus fortement l’apprenant lui-même, son corps, sa voix, sa personnalité, sa position vis-à-vis du groupe.

Inversement, théâtraliser un rôle permet de se distancer par rapport à soi-même, d’être « autre », ce qui peut réduire le stress lié à l’exposition de soi devant les autres.

Mettre en scène permet donc à la fois de s’investir personnellement tout en restant à distance.

Ensuite, jouer une scène oblige l’apprenant à bouger son corps pour accompagner son discours, à mimer, à représenter le sens de son discours par des gestes physiques. Or, les pédagogues ont compris depuis longtemps l’importance du gestuel dans la mémorisation. Accompagner un mot ou une expression par un geste permet plus tard de retrouver ce mot ou cette expression en refaisant le geste.[1]

Il ne s’agit pas ici de théâtre au sens propre du terme, mais de « jeu dramatique » au sens de J-P Ryngaert.[2] Il n’y a ni décors, ni costumes. On travaille dans l’espace scolaire avec le mobilier et les objets courants à portée de main. Il est essentiel que les apprenants y prennent plaisir. C’est un des éléments constitutifs du jeu.

Selon Véronique Laurens[3], :

« Le jeu se définit par deux caractéristiques au premier abord paradoxales. D’un côté, rentrer dans une situation de jeu équivaut à oublier le réel, d’où cette sensation de plaisir et d’amusement. D’un autre côté, tout jeu nécessite l’élaboration de règles précises, d’où la rigueur. Le jeu ne peut prendre place que dans la coexistence de ses deux constituantes, c’est-à-dire dans le développement simultané du jeu et de la contrainte. Naturellement, le jeu dramatique obéit à cette exigence et c’est à travers cette double caractéristique que le jeu dramatique entretient un rapport métonymique avec la réalité. Il offre une modélisation du monde qui lui permet de devenir moyen d’investigation. »

L’objectif de la mise en scène en cours de langue n’est pas uniquement de rendre le cours plus ludique ou même de faciliter la mémorisation, bien que ces deux facteurs soient très importants. La « scène », au sens minimaliste employé ici, permet à l’apprenant d’entrer dans une situation sociale et linguistique à laquelle il ou elle n’est pas préparé, sans prendre de risques. Le propre du jeu est justement de créer un espace « hors du réel » qui permet des « essais sans risques ». L’activité simulée lui donne la possibilité de découvrir les codes sociaux qui régissent les interactions dans la culture française sans danger.

Il en est de même pour le langage. Parler une langue, ce n’est pas simplement enchaîner des mots de vocabulaire. L’énonciation entraine des contraintes sociales : on ne dit pas n’importe quoi à n’importe qui dans n’importe quelle situation. Elle impose aussi des contraintes gestuelles : on se positionne de telle façon, on accompagne ses mots de tel ou tel geste, on énonce la parole avec ou sans emphase, et ainsi de suite. Toutes ces habilités peuvent être expérimentées, observées et modifiées dans le jeu dramatique.


[1] Cette idée prend ses racines dans le travail de l’anthropologue français Marcel Jousse ([1974] (2008), L’Anthropologie du Geste, Paris, Gallimard).

[2] J.P. Ryngaert, Le jeu dramatique en milieu scolaire, CEDIC, 1977.

[3] Théâtre et apprentissages du français : expériences de formations avec des adultes primo-arrivants en France, La Cimade, 2005, 13.