Si vous faites des cours d’alphabétisation pour des personnes migrantes…
Vous savez qu’une des grandes difficultés est d’identifier leurs besoins et de savoir quelle approche utiliser pour les aider à maîtriser le français écrit et parlé et à corriger d’éventuelles lacunes dans leur scolarité antérieure. Comme la plupart de ces personnes parlent peu et mal le français, on peut difficilement les interroger et même si elles pouvaient répondre, on ne sait pas toujours à quoi correspondent les formations primaires et secondaires dans leurs pays.
Peu de bénévoles ont été formés à détecter et à traiter des problèmes comme l’illettrisme chez des adultes allophones, c’est-à-dire des personnes parlant une langue autre que celle du pays où elles se trouvent. Cécile Bruley-Meszaros a publié un article sur ce problème en 2008[1].
Les associations proposant des cours de français aux migrants
L’association de Madame Bruley-Meszaros se situe à Paris et comprend une quarantaine de formateurs bénévoles pour à peu près 300 élèves, d’une vingtaine de nationalités différentes. Les cours sont dispensés principalement le soir de 19h30 à 21h30, parfois l’après-midi, à raison de 2 heures, deux fois par semaine. Les élèves sont répartis en 8 groupes de 5 niveaux différents. 24 % d’entre eux n’avaient jamais été scolarisés avant de s’inscrire à l’association, 64 % avaient été scolarisés et 12 % avaient un niveau égal ou supérieur au bac.
L’auteure commence son enquête en admettant qu’« nous ne sommes pas vraiment préparés à ce type de public ». La très grande majorité des formateurs sont des bénévoles dont la formation et l’expérience professionnelle précédente n’ont rien à voir avec l’enseignement du français aux migrants et l’association « n’est pas en mesure d’assurer de coordination ou d’encadrement pédagogique ». Les bénévoles n’ont aucune référence théorique en la matière et quand on leur pose la question « Comment pourriez-vous définir votre méthodologie ? » ils répondent généralement par un silence embarrassé.[2] Si leurs intentions sont louables et leur désir d’aider les apprenants ne fait aucun doute, on voit néanmoins dans leurs réponses au questionnaire de l’auteure que, si les objectifs leur paraissent clairs, les moyens pédagogiques d’y arriver tiennent plus souvent du bricolage que d’une méthodologie sûre.
Quelques extraits de leurs réponses à la question posée par l’enquêteur
« Quel est l’objectif général de vos cours de français ? ».
- « Les faire progresser, mais aussi de se sentir bien ensemble, de devenir un groupe qui communique aussi en-dehors des cours… »
- « Arriver à prendre la parole aisément, comprendre une question posée et savoir y répondre, connaître les bases de la grammaire. »
- « Rédiger de façon compréhensible. Parler de façon compréhensible en gommant le plus possible les accents. »
- « Maîtrise de la conjugaison et de sa bonne utilisation…
- « Maîtriser la lecture… »
- « Savoir dire, écrire, comprendre et lire les informations basiques nécessaires à la vie quotidienne… »
Tout ceci est très bien mais fait malheureusement l’impasse sur les moyens d’atteindre ces objectifs.
Quid des apprenants n’ayant jamais été scolarisés ?
C’est particulièrement vrai pour les 24% des apprenants qui n’ont jamais été scolarisés avant d’arriver en France. Or, le traitement de l’illettrisme chez les apprenants allophones requiert de solides compétences théoriques et méthodologiques et ne s’improvise pas. S’il est vrai que la grande majorité des formateurs bénévoles assurant des cours de FLE aux migrants n’a aucune formation spécifique et ne dispose d’aucun outil spécifiquement adapté à ce public, alors il y a un vrai problème.
Quid aussi des manuels de FLE ?
Par ailleurs, d’après ce que j’ai pu voir, la quasi-totalité des manuels de FLE disponibles en France semble faire l’impasse sur les problèmes de l’illettrisme et ne prend pas en compte les habilités que les spécialistes appellent de « pré-alphabétisation »[3], dont on parlera dans la prochaine section. Les recherches menées depuis plusieurs décennies sur les difficultés spécifiques des adultes illettrés ou analphabètes[4] semblent largement ignorées de leurs auteurs. Quelles sont justement ces difficultés ? C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre.
[1] Cécile Bruley-Meszaros, « La réalité des pratiques de classe en milieu associatif », Recherches en didactique des langues et des cultures, Les cahiers de l’Acedle, 3, 2008. http://journals.openedition.org/rdlc/2879 ; DOI : 10.4000/rdlc.2879.
[2] Résultat confirmé par Castellotti, V. (1995). « Méthodologie : que disent les enseignants ? ». Le Français dans le Monde, Recherches et applications « Méthodes et méthodologies ». Paris : Hachette. pp. 50-53.
[3] Voir, au contraire, l’excellent manuel publié en ligne par le Centre des niveaux de compétence linguistiques canadien : Alphabétisation pour immigrants adultes en français langue seconde (FLS), que vous trouverez à l’adresse suivante : https://bv.cdeacf.ca//documents/PDF/rayonalpha/93725.pdf. On y trouve de nombreux exercices de pré-alphabétisation.
[4] Voir par exemple : Elsa Eme, Nicolas Nantes et Christine Delliaux, « Analyse cognitive et linguistique de l’illettrisme : bilan des études et implications pour la formation », L’orientation scolaire et professionnelle, URL : http://journals.openedition.org/osp/3516 ; DOI : https://doi.org/10.4000/osp.3516.

Laisser un commentaire