Rythme et apprentissage musical
Les recherches récentes montrent que l’apprentissage de l’anglais pose des problèmes importants aux Francophones. On dit souvent que les Français sont « mauvais en langues », sans se demander pourquoi. Or, ce phénomène peut s’expliquer, tant sur le plan linguistique que psychologique. Les sons de l’anglais, le rythme des mots et des phrases, l’orthographe anglaise sont si différents de ce qu’on trouve en français qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient tant de mal à maîtriser cette langue.
Commençons par parler du rythme.
Mon livre, Apprendre l’anglais : un livre de ressources pour les enseignants de la maternelle au collège, sorti en 2023 aux Editions du Net, commence par l’apprentissage du rythme, plutôt que par celui des sons ou du vocabulaire de l’anglais.
Pourquoi commencer par le rythme ?
D’abord, en tant que linguiste et enseignant de l’anglais à l’université, j’ai pu constater l’absence de toute formation des futurs enseignants aux différences de rythme entre l’anglais et le français et surtout aux moyens pédagogiques permettant d’amener les enfants à intérioriser les rythmes de l’anglais.
Pourquoi est-ce que l’accentuation est si importante ?
Le français est une langue à l’accent syllabique, c’est-à-dire, qui place un accent égal sur chaque syllabe du mot ou de la phrase. L’anglais, au contraire, alterne les syllabes accentuées et les syllabes non-accentuées. Cette différence conditionne déjà le rythme de la phrase et oppose nettement les deux langues. Mais elle entraine un autre phénomène qui est souvent passé sous silence dans la formation des anglicistes en France. C’est le fait qu’une voyelle qui se trouve dans une syllabe non-accentuée ne sera pas prononcée de la même façon que si elle est dans une syllabe accentuée.
Citons un passage du livre (p. 18).
« Les voyelles françaises sont prononcées de manière identique, quelle que soit leur position dans le mot, car chaque syllabe reçoit un accent. Par exemple, les deux <é> d’élément sont prononcés de la même manière : /elemɑ̃/, et les deux <o> de chocolat sont prononcés /o/. Comparons cela aux mots équivalents en anglais, où les voyelles dans les syllabes accentuées sont pleines alors que les autres sont réduites. Dans le mot anglais element, la première syllabe est accentuée, les deux autres inaccentuées. Donc la première <e> est prononcé /ɛ/ (comme le premier <e>d’être), alors qu’on entend à peine la seconde. Même chose pour les <o> de chocolate, où la deuxième <o>, inaccentuée, a tendance à disparaître complètement.
| FRANÇAIS | ANGLAIS |
| Élément = /ɛ lɛ mɑ̃/ | Element = /ʹɛ lə mənt/ |
| Chocolat = /ʃo ko la/ | Chocolate = /ʹtʃɒ klət/ |
Figure 1 : l’accentuation en français et en anglais
« L’alternance en anglais entre phonème accentué, avec voyelle pleine, tendue ou relâchée, et phonème inaccentué, avec voyelle réduite, est totalement contraire aux habitudes françaises. Passer d’une langue, comme le français, qui est rythmée par une accentuation régulière sur chaque syllabe, à une langue rythmée par l’accent lexical, comme l’anglais, demandera au locuteur francophone de modifier complètement ses habitudes d’écoute et de compréhension. »
J’ai donc décidé de commencer par des exercices de rythme et des jeux musicaux. Plusieurs courants de recherche ont alimenté mon intérêt pour la musique comme vecteur d’apprentissage de l’anglais à l’école primaire.
- Des recherches sur l’utilisation de la musique et du rythme pour aider les enfants ayant des troubles de langage, notamment la dyslexie.
- Des recherches neurologiques sur l’apport de la musique à l’habilité intellectuelle, à la mémorisation et à la concentration.
- Des méthodes innovantes d’apprentissage de la musique, notamment les écoles de Carl Orff, de Zoltan Kodaly et de Jaques-Dalcroze.
Regardons quelques extraits d’études scientifiques dans ces trois domaines.
La musique comme support de l’apprentissage des langues
Il est bien connu que la musique est une aide précieuse à l’apprentissage, particulièrement à l’apprentissage des langues. Selon Flament (1998 :18)[1], « Les constituants physiques des sons musicaux sont les mêmes que les constituants de l’oralité, des sons du langage : durée, intensité, hauteur -fréquence fondamentale (Fo), que ceux-ci soient isolés or intégrés à un flux sonore, dans un continuum. » Cette identité physique, selon A. Arleo (2000[2]), permet à l’enseignant d’exploiter les convergences éventuelles entre les phénomènes musicaux, comme le rythme et la mélodie, et les phénomènes linguistiques comme l’intonation et l’accentuation.
Arleo poursuit cette idée en citant le neurologue américain D. Rubin (1995)[3], qui montre comment la musique et le langage poétique constituent des aide-mémoires puissants. Rubin parle de la valeur mnémonique des chansons dans les cultures orales, qui permettent de transmettre des histoires et des rites de génération en génération. Il cite le phénomène de la « parole augmentée » (heightened speech) que l’on trouve dans les contes oraux, les blagues, les homélies, la poésie récitée, le théâtre, dont la forme prosodique diffère de la parole ordinaire, et qui contribue à la mémorisation.
La musique contribue non seulement à la mémorisation, mais crée une atmosphère agréable et relaxante qui facilite l’apprentissage. Les chansons améliorent la compréhension orale, aident à apprendre la prononciation et le vocabulaire et à réviser la grammaire.
La musique comme remédiation aux troubles du langage
Dans un recueil d’articles disponible en ligne[4], Music and Dyslexia: a Positive Approach, on trouve un article de Katie Overy, de l’Université d’Edinbourgh, intitulé « Classroom rhythm games for literacy support ». Overy observe que les capacités orthographiques des enfants dyslexiques peuvent être améliorées à l’aide de battements rythmiques de syllabes. Le fait de chanter, qui ralentie naturellement la vitesse prosodique, améliore leurs capacités phonologiques. Elle propose donc d’utiliser des jeux pour améliorer les capacités rythmiques des enfants dyslexiques avant d’aborder les exercices linguistiques à proprement parler. Ces exercices permettent d’habituer les enfants à synchroniser gestes et paroles, habilité essentielle pour maîtriser le langage.
Voici un de ces jeux rythmiques. Conçus pour des enfants dyslexiques, ce type de jeux peut être facilement adapté à l’apprentissage de l’anglais, dès l’école maternelle, l’idée étant de les habituer à intérioriser l’alternance des accents lexicaux anglais en alternant battements de mains et pauses.
Les enfants s’assoient en cercle. L’enseignant commence à taper un rythme que les enfants imitent. On frappe deux fois dans ses mains, puis on laisse tomber les mains sur les genoux et on tient pour un battement.

Tape tape genoux tape tape genoux tape tape genoux tape tape genoux
En voici la description dans l’article d’Overy :

Une fois que tous les enfants sont bien rentrés dans le rythme, on fait le tour du cercle et chaque enfant prononce un mot d’une, deux ou trois syllabes : un nom (Rod, Eric, Katie, Angela), une couleur (red, yellow, orange), un chiffre (ten, twenty), etc. Peu importe le mot, l’important c’est de respecter le rythme, qui sera basé sur les accents des mots choisis. Par exemple, si on utilise une série de mots monosyllabiques (red…red…red…), on frappera une fois pour le mot et on laissera tomber les mains entre chaque mot. Si on utilise des mots bi-syllabiques, dont la première syllabe est accentuée, mais pas la seconde, on frappera dans ses mains pour la première, on laissera tomber ses mains pour la seconde et on les marquera une pause entre chaque mot. Et ainsi de suite. On ne s’arrête pas si un enfant se trompe ou n’arrive pas à respecter le rythme. On continue tranquillement jusqu’à ce que tout le monde réussisse l’exercice.
Le rythme comme préalable à l’apprentissage de la musique
Trois écoles innovantes ont été développées en Europe au XX° siècle, entre les deux guerres mondiales : celles de Carl Orff en Allemagne, de Zoltan Kodaly en Hongrie et d’Emile Jaques Dalcroze en Suisse. C’est également la période où se développent d’autres méthodes pédagogiques innovantes, comme la méthode Montessori en Italie et la méthode Freinet en France. Sans entrer dans trop de détails, les trois ont en commun le souhait de démocratiser l’apprentissage de la musique, de mettre en place la pratique musicale avant la théorisation et surtout de privilégier le rythme et notamment la perception corporelle du rythme par des jeux rythmiques et des danses.
Vous trouverez facilement en ligne des explications plus détaillées sur les trois méthodes. Il y a aussi des vidéos qui présentent des jeux rythmiques qui mettent en application cette approche, comme celles-ci-dessous, développées par l’équipe Get 2 Learn Music.
- Introduction to Rhythm, Lesson #1, Call and Response: https://www.youtube.com/watch?v=m23Q7HSZuqk
- Lesson 2 : Words to Rhythm: https://www.youtube.com/watch?v=r-oGM3jbIfg
- Clip 5 – Beat and Rhythm Switch : https://www.youtube.com/watch?v=cDcE3L1NFIk
- Clap on the Blue: https://www.youtube.com/watch?v=RsQZX7Hhqug
- Stomp Clap – Body Percussion Classroom Activity: https://www.youtube.com/watch?v=SKNou5koIYk
Conclusion
Je sentais, en explorant ces différents domaines, qu’il était essentiel de commencer l’apprentissage de l’anglais, dès le plus jeune âge, par la musique et notamment par des jeux rythmiques. Ce n’est pas en soi une idée très originale. L’utilisation du chant et des comptines est déjà conseillée dans les Instructions Officielles :
« Dans les programmes de 2008, la première langue vivante étrangère est enseignée en élémentaire à partir du CE1, à raison de 1h30 par semaine. Cependant, on remarque qu’une première approche des langues étrangères doit être faite en maternelle pour préparer les séances d’apprentissage du CE1. Ils préconisent l’écoute, le chant, les comptines et des petites interactions verbales. On remarque que ce premier contact avec une langue étrangère est surtout basé sur l’éducation de l’oreille et sur les réalités phonologiques et accentuelles. »[5]
Cela étant, on ne trouve pas d’explication ici sur la réalité spécifique de l’accentuation lexicale anglaise ni de préconisations pédagogiques, à part l’idée générale d’utiliser des chants et des comptines. C’est ce constat qui a motivé la rédaction de mon livre. Vous y trouverez des explications théoriques, des conseils pédagogiques et toute une panoplie de jeux et d’exercices, du plus simples aux plus élaborés. Pour poursuivre cette lecture, cliquez sur le lien pour l’article sur les Jeux de Tape-mains ou Clapping Games.
[1] Flament, B. 1998. Poésie/musique ou des notes sur des poèmes : cinq études prosodicomusicales. Nantes : Université de Nantes.
[2] Arleo Andy. « Music, Song and Foreign Language Teaching ». Cahiers de l’APLIUT, volume 19, numéro 4, 2000. Arts et langue de spécialité. pp. 5-19; https://www.persee.fr/doc/apliu_0248-9430_2000_num_19_4_3005
[3] Rubin, D. 1995. Memory in oral traditions : the cognitive psychology of epic, ballads, andcounting-out rhymes. Oxford : Oxford University Press.
[4] https://www.wiley.com/en-us/Music+and+Dyslexia%3A+A+Positive+Approach-p-9780470065570
[5] L’apport de la musique dans l’apprentissage d’une langue étrangère, Camille Jedrzejak, Education. 2012, p.4, dumas-00735130, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/file/index/docid/735130/filename/jedrzejak_camille.pdf.


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