Il est rare en anglais qu’un adjectif se trouve à droite du nom qu’il modifie, sauf s’il est placé en apposition, entre guillemets :
- He had a Lancashire comedian’s face, long and immobile, with deep furrows that gave the impression of a sardonic amiability.[1]
Les quelques exceptions sont en fait des termes techniques importés de l’ancien français, comme attorney general or president elect.
En français, en revanche, on a parfois l’impression que les adjectifs peuvent se mettre où ils veulent, à gauche ou à droite du nom.
- Un petit bonhomme/un homme petit et trapu
- On a une possible difficulté/une difficulté possible avec la nouvelle voiture.
En fait, ce n’est qu’une impression. Il y a des règles assez précises concernant la position et le sens des adjectifs en français et une bonne compréhension de celles-ci sera très utile au traducteur en formation que vous êtes, peut-être.
Les adjectifs qui se mettent toujours à gauche du nom et ceux qui changent de place
Un adjectif sur vingt en français se place toujours à gauche du nom qu’il modifie, mais ceux-ci sont les plus fréquemment employés : petit, grand, vrai, simple, ancien, etc. Il y a aussi un petit groupe d’adjectifs qui peuvent se mettre avant ou après le nom, mais en changeant de sens.
4.a. Un simple soldat : il n’est pas autre chose, ni officier, ni pilote d’avion
b. Un homme simple: soit il est simplet, soit il est sans complications
5.a. L’ancien roi : il n’est plus roi
b. Un ami très ancien: je le connais depuis longtemps
Il en de même pour une vraie épopée versus une assertion vraie, une vague idée versus une idée vague, une apparente /pure folie versus une piété apparente, etc. Quand ces adjectifs sont places à gauche du nom, ils expriment un jugement subjectif ou moral, mais quand ils sont à droite, il s’agit d’un fait vérifiable. De ce fait, la position à gauche est contrainte par un certain nombre de règles :
- Les adjectifs ne peuvent pas être modifiés : *une plus simple idée
- Ils ne peuvent pas être coordonnés avec des adjectifs du premier groupe : *une simple et petite porte
- Ils ne peuvent pas être utilisés comme des prédicats et garder le même sens : une vague idée ≠ l’idée est vague
- Ils peuvent être employés sans article : Jean est simple soldat versus *Jean est pauvre soldat.
En anglais, comme le changement de position n’est pas possible, il est souvent nécessaire de changer d’adjectif pour exprimer ces différences de sens.
- Des gens simples = plain and simple people ; un simple citoyen = an ordinary citizen
- Un monument ancien = an ancient monument ; l’ancien président = the former president
- Une couleur vague = an indeterminate colour ; quelque vague écrivain = a writer of sorts
Je vous invite à consulter un bon dictionnaire bilingue pour voir toute la gamme de possibilités de traduction qui existe pour ce type d’adjectifs.
La différence entre « jugement subjectif » et « fait vérifiable » est liée, en français, mais aussi parfois en anglais, à la position occupée par l’adjectif dans le SN. A côté de la différence bien connue entre un grand homme (morally great) et un homme grand et fort (physically large and strong), on trouve des différences plus subtiles, par exemple entre la valeur des deux adjectifs qui suivent le nom dans l’exemple suivant.
- Les étoiles (généralement) visibles invisibles (exceptionnellement ce soir)
Il en de même en anglais, mais cette fois à gauche du nom.
- The invisible (tonight) visible (usually) stars
Alors que pour ces exemples, on peut modifier l’ordre des deux adjectifs – les étoiles (généralement) invisibles visibles (ce soir) -, parfois cette modification n’est pas possible, car alors on tomberait sur une impossibilité logique.
- Marie a interviewé tous les candidats potentiels (modal) possibles (restrictif)
- *Marie a interviewé tous les candidats possibles (restrictif) potentiels (modal)
- Mary interviewed all the possible potential candidates/*all the potential possible candidates.
Enfin, il y a ceux qui doivent se mettre à droite du nom
- Les adjectifs dérivés de noms, comme français, présidentiel ou régional, mais qui peuvent alterner avec une construction prépositionnelle en de + N(P) : français= de France
- Des adjectifs dérivés de participes, comme séduit, abandonné ou attendu.
- Des adjectifs qui dénotent des couleurs ou parfois des formes – carré, rond,
Tous ces adjectifs sont interdits à gauche du nom.
- La maison verte/*la verte maison; le bloque carré/*le carré bloque ; son fils aîné/* son aîné fils.
| Exercise
Exercerez vos talents sur le texte suivant. Essayez de classer les adjectifs soulignés selon les critères donnés ci-dessus. Essayez de les déplacer pour voir s’il y a un changement de sens ou une formation agrammaticale. Enfin, traduisez le texte en anglais et notez les difficultés rencontrées. Vous trouverez le corrigé, ainsi que d’autres explications et exercices dans le chapitre 3.4 du Linguistic Handbook of French. |
|
|
1
5
10
15 |
Le manque de sommeil a des effets bizarres. Je ne sais pas comment je suis arrivée sur la plage. Le chuintement des vagues m’a réveillée. Mes deux paquets de cigarettes étaient intacts à côté de moi, le vent les avait doucement recouverts d’une fine mue de sable, qui glissait sur le papier cristal comme soulevée par d’imperceptibles mouvements de peau. Les grains roulaient les uns sur les autres, juste sous mes yeux, jaunes et pâles sur le bleu vif du logo, on aurait dit de petits bonshommes culbutés par une force qu’ils ignorent, ronds de stupéfaction, très proches et très gros, vus au microscope dans une cité en proie au désordre. Mon visage était enfoui, mon nez face à la mer, respirant les embruns, je me recouvrais moi aussi progressivement, je cillais aux attaques des grains de sable, le vent les emportait, les ramenait, par piquetés sur mes joues, en rafales de plus en plus enveloppantes; de longues et pales coulures suivaient le pli de mes reins, de petites dunes comblaient le creux de mes genoux, commençaient à souder déjà mes cuisses et mes jambes; et mes paupières, tout contre moi, se ralentissaient du poids du sable adhérant comme un pollen à leurs élytres. Je me suis ébrouée. La mer m’a giflée en pleine tête, un gros rouleau en fracas d’embruns à moins d’un mètre de moi, à secouer d’air violent mes neurones. Il y a une autre angoisse possible, je la sentais monter déjà, à être trop lucide, là, éveillée, bien ouverte, une autre forme d’angoisse aux aguets qui vient se planter face à face, sans échappatoire, un regard droit, direct. Assise, les fesses calées dans le sable, les chaussures pleines, se concentrer, comme quand j’étais petite, sur la souffrance infime procurée par le sable qui se tasse entre les orteils, et qui ponce vos ongles en silence, dessus et dessous, en enfonçant de petites billes bien dures dans votre plante de pied.
Marie Darrieussecq, Naissance des fantômes (POL., 1998), ch. IV.
|
[1] John Braine, Room at the Top, Methuen, 1980, p. 202.

Laisser un commentaire