Saviez-vous que la capacité attentionnelle d’un enfant surexposé aux écrans est moins importante que celle d’un poisson rouge ? Ce n’est pas une blague inventée par quelque complotiste mal intentionné, mais le constat du grand Microsoft lui-même, dont l’étude[1] montre que les capacités attentionnelles des enfants nés après l’avènement du numérique passent de 12 secondes en 2000 à 8 secondes en 2015, alors qu’un poisson rouge peut rester concentré pendant 9 secondes !
En cause ? La culture du zapping, selon Michel Desmurget, spécialiste mondialement reconnu de neurologie.[2]
C’est un constat que peut faire tout parent ou enseignant aujourd’hui : surpoids, troubles du sommeil, problèmes de vision, retards de langage, baisse de vocabulaire et du goût de l’effort, troubles d’attention, hyperactivité. Et on arrête là la liste désolante des conséquences négatives de l’addiction de nos jeunes (et malheureusement aussi de leurs parents) aux smartphones, tablettes et autres écrans récréatifs. Les remèdes aussi sont connus depuis quelques années : réduction drastique de l’accès aux smartphones, interdiction d’écrans avant 3 ans et après 22 heures pour tout le monde, encouragement à faire de la lecture, à sortir et jouer dehors, à participer à des activités collectives.
On peut ajouter à la longue liste des dégâts causés par les écrans la perte de tout un pan de ce qui constituait autrefois le « folklore enfantin », selon l’expression de Carole Chauvin-Payan :
« Le folklore enfantin est un domaine dans lequel les jeux, les mises en jeu et les énoncés tels que formulettes, chansons, devinettes ou virelangues sont transmis de manière orale de génération d’enfants en génération et ceci sans médiation d’adultes. »[3]
Entre 1980 et 1990, Anne-Marie Grosser a mené une enquête dans plusieurs dizaines de cours de récréation de la région parisienne.
« À cette époque, dit-elle, la cour de récréation était encore un endroit idéal pour gérer les jeux-chantés entre enfants, les faire évoluer et en assurer la pérennité. Aujourd’hui les jeux-chantés y ont pratiquement disparu. Si les enfants jouent toujours à l’épervier et au loup, si les filles font encore des tape-mains et scandent quelques courtes comptines, beaucoup apportent des jeux « tendance » comme les cartes Pokémon ou les hand spinners (sortes de toupies) qui disparaissent aussi vite qu’ils apparaissent. »[4]
Je pense malheureusement que, si on regardait les cours de récréation de 2024, on constaterait que les quelques restes que A-M Grosser pouvait observer en 2021 ont maintenant totalement disparus.
Depuis l’antiquité pourtant, les berceuses, les comptines, les marches rythmés, les danses chantées, les jeux de doigts, de mains et de pieds, les rondes, structuraient les relations entre enfants et aussi entre adultes et enfants, et apprenaient aux enfants à trouver leur place dans le groupe, à connaître le monde autour d’eux et à se développer physiquement et mentalement.
Aujourd’hui, les pédagogues commencent à comprendre l’importance de ces jeux rythmés dans le développement psychomoteur de l’enfant et à préconiser leur réapprentissage à l’école et à la maison, à l’instar des ethnologues universitaires américains qui ont dû, dans les années après-guerre, réapprendre leur artisanat traditionnel à certains peuples natifs d’Amérique, comme les Cherokees du Caroline du Nord, qui les avaient complètement oubliés.
En effet, les psychomotriciens mettent en avant de nombreux avantages des jeux rythmés, comme les jeux de tape-mains :
- Ils engagent les circuits neurologiques en stimulant les lobes frontaux et en amenant l’enfant à croiser la ligne médiane du corps.
- Ils améliorent le contrôle moteur en engageant le mouvement synchronisé.
- Ils améliorent la coordination bilatérale, puisque les deux mains ont souvent deux mouvements différents à faire en même temps.
- Ils encouragent le développement progressif d’habilités moteurs, au fur et à mesure que les enfants passent d’un jeu solitaire à un jeu à deux, puis à un jeu en groupe.
- Ils améliorent les relations sociales au fur et à mesure que les enfants apprennent à interagir avec d’autres, à contrôler leurs émotions, à gagner en confiance et à aider ceux qui arrivent moins bien à jouer.
Sur le plan pédagogique, les jeux rythmés apprennent du vocabulaire, développent la mémoire et la concentration et améliorent le séquençage gestuel, c’est-à-dire « la capacité de guidage entre l’œil et la main pour tracer, reproduire, assembler et construire efficacement »[5]. Cette capacité est nécessaire à l’apprentissage de la lecture. Quand elle est déficiente, elle conduit aux Troubles de Développent de la Coordination (TDC), qui peuvent impacter négativement la perception, les émotions, l’attention, et les fonctions exécutives comme l’écriture ou le dessin.
De nombreux spécialistes (voir la bibliographie à la fin de l’article d’Aurelien Dignazio) préconisent d’introduire dans les séances thérapeutiques des chorégraphies ou la manipulation d’objets pour améliorer les séquences gestuelles, des jeux d’adresse, de jonglage, etc. pour améliorer l’anticipation rapide, des exercices tactiles pour augmenter les capacités sensorielles, ou des jeux mnémomoteurs[6] avec un versant cognitif et un versant moteur.
Ces mêmes spécialistes insistent sur l’utilisation d’activités ludiques, créatifs et valorisants pour l’enfant et encouragent l’investissement de son corps et l’interaction avec d’autres enfants.
Tous ces ingrédients se retrouvent dans les jeux de tape-mains. L’avantage de ceux-ci est qu’ils n’exigent aucune formation particulière de la part de l’enseignant ou du parent. Ils ne coûtent rien et sont très facile à mettre en place, à la maison ou en classe. Il existe des centaines de vidéos ou d’articles en ligne : en français mais aussi en anglais, en espagnol ou en bambara. Les enfants les adorent, et une fois qu’on leur a réappris à y jouer, ils les transmettent rapidement à leurs amis. Pour avoir un aperçu de l’étendu de jeux de mains en anglais (tapping games), qui sont un excellent moyen d’entrainer les enfants à intérioriser les rythmes de cette langue, voir mon article « Clapping Games », sous la rubrique « Apprendre l’anglais » sur ce même site.
[1] Voir l’article de Sophie Bartczak, « Écrans : une menace pour la santé des enfants ? », dans Le Point Education du 23/01/2018.
[2] Voir : Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, Éditions du Seuil, 2019 ou Faites-les lire !: Pour en finir avec le crétin digital, Éditions du Seuil, 2023.
[3] Carole Chauvin-Payan, « Universaux spatiaux et gestuels dans les jeux de tape-mains », in Cultures enfantines : universalité et diversité, (Éds) A. Arleo et J. Delalande, aux Presses universitaires de Rennes, 2011 : 137-158.
[4] Anne-Marie Grosser, Les jeux chantés : un chemin pédagogique, Les Editions À Cœur Joie, 2021, p. 8.
[5] Citation tirée de : « TDC et dyspraxie développementale – Regard psychomoteur », posté le 6 décembre 2020 par Aurelien_Dignazio sur le site du Psychomotricien libéral : https://www.psychomotricien-liberal.com/2020/12/06/tdc-et-dyspraxie/.
[6] Voir les exemples de jeux mnémomoteurs sur le site du Psychomotricien libéral : https://www.psychomotricien-liberal.com/2017/11/16/exercice-psychomoteur-mnemo-moteur/)
[7] Images tirées du site Le Psychomotricien libéral.

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