Qu’est-ce que l’illettrisme ?
On comprend de mieux en mieux le phénomène de l’illettrisme, c’est-à-dire « le fait de ne pas disposer de compétences de base (lecture, écriture, calcul) suffisantes pour faire face de manière autonome à des situations courantes de la vie quotidienne (faire une liste de courses, lire la notice d’un médicament ou une consigne de sécurité…) »[1].
On sait maintenant[2] qu’une personne qui n’a jamais appris à lire ou qui lit très difficilement aura des problèmes qui vont bien au-delà de la simple reconnaissance de lettres imprimées. Elle peut par exemple rencontrer des difficultés visuomoteurs, les empêchant de reproduire correctement les lettres ou des formes géométriques simples, mais aussi de reconnaître la différence entre deux visages présentés rapidement. L’illettrisme peut aussi amoindrir la capacité à identifier les sons et affecter l’expression orale. On peut même affirmer que l’ensemble des processus intellectuels peut être impacté négativement par l’illettrisme : raisonnement logique, concentration, discrimination, etc. -.
Mais c’est aussi et peut-être surtout sur le plan social que les effets peuvent être désastreux. La honte de son handicap empêche souvent la personne illettrée de participer pleinement à la vie « normale » : accéder à certains emplois, participer à des activités sociales, conduire une voiture, comprendre des consignes complexes, etc.
Depuis quelque temps, le milieu médical commence à comprendre l’importance de diagnostiquer et de traiter le problème de l’illettrisme dans le domaine de la santé car il peut affecter sérieusement l’état du patient, et … les comptes de la Sécurité Sociale.

La littératie de santé et les coûts pour la société
Les chercheurs américains ont identifié un phénomène qu’ils appellent la « littératie de santé limitée » (LSL) (Limited Health Literacy), c’est-à-dire la capacité amoindrie de comprendre les paroles du médecin ou du pharmacien, de lire les dosages du médicament, de suivre un protocole de traitement, etc. Ils estiment que la moitié de la population américaine est affectée à des degrés divers par LSL, avec des conséquences graves sur la santé des patients mais aussi sur le système de soins lui-même, avec des aggravations de santé couteux, des erreurs de prise de médicament, des rendez-vous non-respectés, etc. Les chercheurs français font bien entendu le même constat (voir par exemple le site cité dans la note 1).
Dans un article paru en 2009[3], R. L. Sudore et D. Schillinger disent ceci :
« Les patients atteints de LSL ont plus de chances d’avoir une mauvaise santé, d’être plus souvent hospitalisés, avec un taux de mortalité deux fois plus fort que le reste de la population. Ils peuvent aussi souffrir d’un accès moins facile aux soins et ont souvent une connaissance moindre de leur état de santé, de leur régime médicamenteux. Ils communiquent moins facilement avec leur médecin traitant ou avec d’autres soignants. »
Les auteurs estiment le coût supplémentaire pour le système de santé américain entre 50 et 70 milliards de dollars par an. Ce n’est donc pas un problème anodin !
La tendance de la plupart des personnes illettrées à vouloir cacher leur handicap peut affecter le traitement médical dés le premier contact avec un médecin. Déroutée par la complexité du vocabulaire utilisé ou par l’attitude du praticien, elles peuvent répondre de façon aléatoire à ses questions ou ne pas oser poser elles-mêmes des questions sur le traitement, avec comme conséquence un mauvais diagnostic, l’incompréhension des consignes, le non-respect des analyses complémentaires, etc. Évidemment, les mêmes problèmes vont se poser tout au long du parcours de santé, chez l’infirmier ou à la pharmacie.
Sensibiliser et former le personnel de santé
Il est plus que nécessaire dans ce contexte que l’ensemble du personnel de santé soit formé à l’accueil et à la prise en charge de cette population. Il faut d’abord détecter les problèmes de lecture et de compréhension, par exemple en posant des questions simples sur ce que le patient a compris de ce qu’on lui a dit ou écrit sur une ordonnance. Il faut savoir simplifier le vocabulaire technique utilisé, s’adapter à la façon de parler du patient, ne pas avoir peur de lui demander s’il a compris ou s’il veut poser des questions. On peut aussi lui demander de répéter ce qu’on lui a expliqué, de façon à vérifier si les consignes ont été bien comprises. L’emploi de supports visuels, ainsi que le recours à une tierce personne pouvant aider le patient à comprendre et à s’exprimer s’avèrent souvent utiles.
Le personnel chargé du suivi du patient doit aussi respecter un certain protocole, par exemple en adaptant la prise de médicaments à ses habitudes quotidiennes, en s’assurant par un échange oral qu’il a bien compris le dosage et la fréquence des prises, en utilisant un système visuel simple pour organiser la médication. Les pharmaciens aussi peuvent jouer un rôle important dans le processus : vérifier que le patient a bien compris la nature du médicament qu’on lui a prescrit, ses effets secondaires, la durée du traitement, etc. [4]
Malgré leur bonne volonté et le désir d’aider au maximum leurs patients, beaucoup de soignants ne sont pas suffisamment sensibilisés aux problèmes liés à la LSL, ni formés à les comprendre ou à les résoudre dans leur pratique quotidienne. Le manque de formation initiale ou continue dans ce domaine explique en partie ce phénomène. Il y a peut-être aussi un besoin de changement d’attitude envers les patients et d’une meilleure utilisation du temps passé avec eux, que ce soit dans le cabinet de consultation, à la pharmacie ou à l’hôpital.
[1] « L’illettrisme : un facteur de risque d’accidents médicaux », Le Cardiologue, La revue du Syndicat National des Cardiologues, avril 2008, www.lecardiologue.com/2008/04.
[2] Voir l’article de S. Dahaene et ses collègues : « Illiterate to literate: behavioural and cerebral changes induced by reading acquisition” dans la revue Nature, avril 2015, Vol. 16, www.nature.com/reviews/neuro.
[3] “Interventions to Improve Care for Patients with Limited Health Literacy”, Rebecca L. Sudore, et Dean Schillinger, Journal of Clinical Outcomes Management. déc 29, 2009. 16(1): 20–29.
[4]« La législation et les conventions signées avec l’Assurance Maladie autorisent maintenant le pharmacien à prévoir et organiser des entretiens pharmaceutiques sur un certain nombre de classes thérapeutiques comme les anticancéreux afin d’améliorer la compréhension du traitement. De la même façon, des séances d’éducation thérapeutique peuvent être mises en place entre soignants et patients de façon à que le patient soit l’acteur central de sa pathologie. » (B. Pech, professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université d’Angers, 16/10/2024)

Laisser un commentaire