Nous avons examiné dans un article précédent le système de communication des abeilles en se demandant si on pouvait parler légitimement de « langage », tel qu’on l’entend pour les humains. La réponse était négative et nous avons préféré le terme « code gestuel » pour caractériser ce système. Poursuivons cette interrogation.
Qu’est-ce que le langage ? Qu’est-ce qu’un code ?
Les deux termes sont utilisés dans le langage courant pour désigner un peu tout et son contraire. En voici quelques exemples tirés de la presse quotidienne.
- On parle souvent de « langage codé ou de « codes de langage »
« Les hôtels des ventes ont leur langage codé. » Ouest-France, Jean-François VALLÉE, 09/12/2012 ;
« Ils se parlent par langage codé, qui ne peut se comprendre qu’entre eux. » Le divan familial, 2006, Christiane Joubert, Richard Durastante (Cairn.info) ;
« Les nouveaux codes de langage des marques (storytelling web radio, TV…), la qualité de l’expression, des contenus et des langages font la différence. » Les nouveaux codes de langage – media.electre-ng.com.
- Il peut aussi être question de « codes sociaux », de « codes du comportement », de « codes culturels » ou de « codes vestimentaires »
« Le code social est un système de langage, de comportements et de signaux corporels (gestes, postures, vêtements, coiffure, accessoires…) qui transmettent ce message : « J’appartiens (ou je n’appartiens pas ». TSA | Association Ikigaï ;
« Faire ses achats demande des ajustements et implique la découverte de nouveaux codes culturels. » Comprendre les codes culturels – CQRHT ;
« Un code vestimentaire constitue un ensemble de règles tacites ou explicites régissant la manière dont les individus doivent se vêtir en fonction du contexte dans lequel ils évoluent. Ces codes sont façonnés par des normes culturelles, des traditions et des attentes. »
- De la même façon, on parle de « code gestuel », de « codes secrets », de « code informatique »
« Dans cet article, un ergonome présente le ‘code gestuel’ constitué de règles d’action qui permet d’observer les manutentionnaires en action et de les aider à trouver la meilleure posture de travail. » portaildocumentaire.inrs.fr, docLe code gestuel : mieux comprendre et prévenir les risques en entreprise.
La confusion est particulièrement flagrante dans le domaine de l’informatique. Regardez par exemple cet extrait d’un site dédié à l’apprentissage de la programmation[1] :
« La différence principale entre le langage de script et le langage de programmation est que le code source écrit dans un langage de script est converti en code machine à l’aide d’un interpréteur, tandis que le code source écrit dans un langage de programmation est converti en code machine à l’aide d’un compilateur ou d’un interprète. »
Vous avez compris quelque chose ? Moi non plus. J’ai parcouru plusieurs sites de ce type qui proposent d’expliquer ces termes, mais ils utilisent tous les termes « code », « langage », « langage de codage », « codage du langage », etc. de façon incompréhensible pour un non-initié. Toujours est-il que cela a peu de choses avoir avec le langage humain, sinon que dans les deux cas, il y a des « signes » (ici des suites de 0 et de 1/là des mots), qui correspondent à des « sens » (ici des instructions au programme informatique/là des concepts) et qu’ils ont une « syntaxe », c’est-à-dire une organisation formelle de ces signes.
Comme on peut le voir, les termes « code », « langage » et « communication » semblent être plus ou moins interchangeables dans l’usage courant. Comment définir plus clairement ces concepts ?
Quelques définitions
Au départ, un « code » est « Un recueil de lois, de textes ayant force de loi. » (Le Grand Robert), comme le Code de Justinien ou d’Hammourabi, le Code Noir réglant l’esclavage en Louisiane au 17ième siècle.
Par extension, un code peut être un ensemble de règlements, explicites comme dans le Code de la Route, ou implicites comme dans le code de la morale, du goût, de l’honneur, etc.
Ensuite, on appelle par ce terme « Un système ou recueil de conventions constituant un ensemble de signes » (Code Morse, code télégraphique, etc.) Et par extension, dans un emploi plus technique : « Tout système rigoureux de correspondance entre ensembles de signes ou d’arrangements d’unités qui permettent la transmission d’information. » (Code informatique, code génétique, etc. mais aussi Code vestimentaire, code social, etc.)
Si on veut être un petit peu rigoureux, on dirait que, par définition, un code est constitué d’un ensemble de signes fixes, en nombre limité, auxquels correspond un ensemble d’éléments de « sens », également fixes et en nombre limité. Autrement dit, en termes mathématiques, un code est une bijection : tout élément de l’ensemble « signes » correspond à un et un seul élément de l’ensemble « sens » et inversement.

Signes -> Sens
C’est en cela qu’ils diffèrent du langage, composé d’un nombre illimité de « signes », les mots, dont les combinaisons possibles sont infinies, et dont le sens peut évoluer avec le temps.
Que penser alors de l’usage courant ?
En fait, la notion de « code » semble avoir évolué, dans l’esprit du public, vers l’idée de « tout ensemble de signes », c’est-à-dire, tout ensemble d’éléments qui correspondent à l’existence ou à la vérité d’une chose. Par exemple, le ‘code vestimentaire’ voudrait dire un ensemble d’éléments vestimentaires qui « signifieraient » qu’on est riche ou pauvre, ouvrier manuel ou employé de bureau, à la mode ou démodé, etc., évidemment selon des critères totalement subjectifs et parfois connus seulement de quelques personnes. En ce sens, le « code du langage » signifierait que certains éléments de langage auraient un double sens, un premier sens ordinaire, connu de tout un chacun, et un second sens caché, connu des seuls initiés. De même pour le « langage diplomatique » ou « le langage scientifique ».
La plupart des codes correspondent à la définition donnée plus haut. Il y a des codes gestuels, comme le langage des signes, des codes tactiles, comme le Braille, des codes visuels, comme le sémaphore ou les panneaux de signalisation routières, des codes sonores, comme le Morse, ou des codes écrits, dont on va parler maintenant.
Il existe des dizaines de codes écrits qui ont posé d’énormes problèmes de décryptage, dont l’un des plus célèbres est le code secret de Mary Stuart, Reine d’Écosse.
Le code secret de Marie Stuart, Reine d’Écosse

Née le 8 décembre 1542, Mary Stuart a été condamnée et exécutée le 8 février 1587 pour avoir conspiré à assassiner la Reine d’Angleterre. Sa condamnation était basée sur la découverte de lettres secrètes échangées avec des officiels français qui contenaient des informations sensibles concernant ses intrigues pour récupérer le trône écossais et usurper le pouvoir de sa cousine germaine et rivale politique, Élisabeth 1ère. Ces lettres étaient écrites avec un code secret qui a défié les cryptographes du monde entier pendant des siècles. Récemment, une équipe composée de trois cryptographes amateurs, George Lasry, informaticien français vivant en Israël, Norbert Biermann, professeur allemand d’opéra, et Satoshi Tomokiyo, physicien japonais, a trouvé la solution.
À l’aide d’une combinaison complexe de logiciels informatiques et de techniques de cryptographie traditionnelles, ces trois hommes ont réussi à casser les cryptogrammes de Marie Stuart, révélant ainsi un trésor d’informations inédites sur le monarque et son environnement politique.
La première tâche du trio a été de transcrire les 150 000 signes contenus dans les messages codés en symboles qu’un ordinateur actuel puisse reconnaître ; un processus qui a pris plusieurs mois. Comme ces caractères comprenaient 191 symboles différents, l’équipe savait que les messages codés n’étaient pas simplement chiffrés par substitution, système dans lequel chaque lettre de l’alphabet est assignée à un signe correspondant. À la place, ils ont émis l’hypothèse que ces messages secrets avaient été composés à l’aide d’un code homophonique, système plus complexe dans lequel une lettre de l’alphabet peut être assignée à plusieurs symboles différents, ce qui rend le code plus bien plus difficile à déchiffrer.
La difficulté était accrue par le fait que le trio ne savait pas dans quelle langue étaient écrites les quelques 50 lettres dont ils disposaient. Après avoir essayé l’italien, le latin et l’espagnol, ils se sont souvenus que Mary avait passé son enfance en France et ils ont essayé le français. Bingo ! Ils ont fait mouliner le logiciel et sont tombés sur quelques mots qui revenaient régulièrement, notamment fils et ma liberté. Chaque fois qu’ils trouvaient un mot compréhensible, ils en faisaient un mot clé et continuaient leurs recherches. Mais plusieurs mois de travail ne révélaient rien d’intéressant. Alors ils ont compris que, contrairement à beaucoup de codes de ce type, les symboles du code ne correspondaient pas toujours à des lettres de l’alphabet, mais pouvaient aussi renvoyer à des mots, voire à des suites de mots. Voici les correspondances entre les signes du code et des lettres ou des mots anglais.

Selon un article sur le site de la National Geographic[2] : « Plusieurs lettres montrent en détail l’astucieuse habileté de Marie en matière de subterfuge politique, qu’il s’agisse de ses tentatives de soudoyer les conseillers d’Élisabeth ou bien de l’orchestration d’un mariage entre cette dernière et le duc d’Anjou, qui était le beau-frère de Marie. On y trouve également consignées ses tentatives de récupération du trône écossais et son implication dans le Complot de Throckmorton de 1583 visant à renverser Élisabeth. »
Il y a d’autres cas fascinants de codes secrets qui ont posé d’énormes problèmes aux cryptographes, comme la machine Enigma, conçue par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.[3] Si vous souhaitez en savoir plus sur les codes secrets, vous pouvez consulter l’article « Arithmétique et codes secrets : Un coup d’œil historique », de Martine Bühler, disponible en ligne.[4]
Conclusion
Le langage humain [5] est incroyablement plus complexe que tout ce que nous avons considéré jusqu’ici. Les mots du langage sont polyvalents, c’est-à-dire qu’ils ont plusieurs sens possibles selon les contextes. Ces sens peuvent changer avec le temps. Ils peuvent signifier des objets concrets ou des concepts abstraits, désigner des événements passés ou imaginaires, avoir des connotations, c’est-à-dire des notions secondaires associées par implication au sens premier. Et on pourrait continuer comme ça pendant des pages et des pages.
On poursuivra notre enquête sur le langage dans les prochains articles. La prochaine fois on parlera du chant des oiseaux !
[1] https://fr.differkinome.com/articles/technology/what-is-the-difference-between-scripting-language-and-programming-language.html
[2] « Ces lettres codées ont été décryptées… révélant un complot contre la reine Élisabeth Ière », https://www.nationalgeographic.fr/histoire/marie-stuart-histoire-angleterre-ces-lettres-codees-ont-ete-decryptees-revelant-un-complot-contre-la-reine-elisabeth-ire.
[3] Voir par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Enigma_(machine).

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