Imaginez un oiseau perché sur une branche, chantant une mélodie complexe.

A quoi sert son chant ? Est-ce un signal d’alarme, ou une conversation élaborée ? S’agit-il d’une forme de langage ? Ou est-ce plus proche de la musique ? En fait, le chant de l’oiseau sert à une multitude de fonctions, allant de la défense du territoire à l’attraction d’un partenaire. Les chants varient selon l’espèce, le sexe, l’âge, la région géographique et même l’individu. Les oiseaux peuvent apprendre de nouveaux chants, imiter d’autres espèces, et développer des dialectes régionaux.
Commençons notre enquête par écouter quelques oiseaux chanter : cherchez sur votre moteur de recherche préféré le lien de la vidéo « Apprenez 5 chants d’oiseaux flûtistes » produite par La Salamandre, et suivez Julien Perrot dans les bois pour écouter 5 oiseaux flûtistes et apprendre à reconnaître leurs chants.
Ça vous a plu ? Je vous donnerai tout à l’heure des liens vers d’autres sites pour écouter des dizaines d’oiseaux de France ou d’ailleurs. Mais avant ça, regardons l’anatomie des oiseaux, ce qui leur permet de produire le chant.
Comment l’oiseau produit son chant ?
Contrairement aux humains, les oiseaux n’ont pas de cordes vocales, mais une syrinx, un organe situé à la base de la trachée. C’est l’appareil vocal le plus performant de tous les vertébrés. La syrinx est composée de membranes et de muscles qui permettent de produire des sons variés. Sa situation au point d’intersection des bronches et de la trachée le différencie déjà de nos cordes vocales situées en haut de la trachée.

Figure 1. Schéma et fonctionnement de la syrinx, au repos et pendant le chant
En augmentant la pression dans le sac aérien interclaviculaire qui entoure la syrinx, l’oiseau fait bomber les deux membranes occupant chacune la face interne d’une bronche, ce qu’on appelle les membranes tympaniformes. L’oiseau peut ensuite moduler ce son en contrôlant la tension de muscles spécialisés qui contractent les membranes. Cela fait varier l’espace entre celles-ci et lui permet de produire une grande variété de sonorités. Les membranes peuvent également vibrer indépendamment et émettre deux sons simultanés. Tous les oiseaux ne chantent pas et certains, comme les pingouins ou les autruches, ont des syrinx plus rudimentaires.
Les chants varient considérablement selon les espèces ou les individus d’une même espèce ou du même individu selon les saisons ou ses émotions. Par exemple, en début de la saison de reproduction, alors que les parades sexuelles n’ont pas encore lieu, le chant des mâles est extrêmement stéréotypé et d’une structure très simple. Mais lorsque les femelles commencent à visiter les territoires et que les premières parades ont lieu, la structure du chant devient plus complexe : toutes les notes du répertoire individuel seront émises en combinaisons variées.Le chant peut aussi varier en fonction de l’activité – patrouille aux frontières, agression intra-sexuelle, recherche de nourriture loin du nid, etc. – de façon à coordonner ses activités avec celles des congénères à distance. [1]
Origine et évolution du chant
Les scientifiques pensent que le chant des oiseaux est apparu il y a environ 150 millions d’années, à l’époque des dinosaures. L’ancêtre commun des oiseaux modernes, un petit dinosaure à plumes, aurait développé des structures vocales primitives qui se sont ensuite transformées en syrinx.
Le chant s’est ensuite diversifié et a évolué en fonction des pressions de sélection naturelle. Les oiseaux qui ont développé des chants plus complexes et plus efficaces pour communiquer ont eu plus de chances de survivre et de se reproduire, transmettant leurs gènes à leurs descendants. [2]
L’apprentissage du chant
L’apprentissage est l’un des éléments clés dans le débat sur le langage et la communication animale. On sait que les humains apprennent à parler au cours d’une période d’environ 48 mois, pour l’essentiel. Mais on sait aussi qu’ils ont une prédisposition innée pour le langage. Qu’en est-il des animaux, et en particulier des oiseaux ?
Il faut d’abord distinguer chants et cris. Tous les oiseaux émettent des cris, d’alarme ou de détresse, des appels, des demandes. Les oisillons piaillent pour réclamer de la nourriture. Tous ne chantent pas, par exemple les cigognes ou les autruches. Mais tous émettent des cris, qui sont des signaux percutants et courts. Les cris sont innés, ils ne sont pas appris en imitant un adulte, contrairement aux chants.
En ce qui concerne les chants, on peut distinguer deux catégories d’oiseaux : ceux qui produisent des signaux acoustiques de façon innée et ceux qui apprennent à les produire. Parmi les quelque 10 000 espèces d’oiseaux recensées, 4 000 appartiennent à la deuxième catégorie, ceux qu’on appelle les oiseaux chanteurs, ou oscines.[3]
Pour la plupart des oscines, il y a une période critique d’apprentissage pendant laquelle le jeune devra être exposé au modèle spécifique sous peine de ne jamais pouvoir émettre un chant normal. Certains apprendront uniquement le chant du père nourricier, même si celui-ci appartient à une autre espèce et que le jeune a entendu le chant spécifique. C’est le cas du bouvreuil pivoine, Pyrrhula pyrrhula.

Figure 2. Le bouvreuil pivoine
Chez d’autres, comme le pinson des arbres, l’apprentissage ne semble servir qu’à un affinement d’une vocalisation connue de manière innée.

Figure 3. Le pinson des arbres
La durée de la période d’apprentissage varie d’une espèce à l’autre, mais se situe en général dans les deux ou trois premiers mois de la vie. Chez certains, elle peut se prolonger jusqu’à la maturité sexuelle. Les perroquets peuvent continuer à apprendre pendant des années, ce qui explique leurs étonnantes capacités d’imitation.
L’apprentissage semble passer par des étapes prévisibles que certains ont comparé aux étapes de l’apprentissage humain. Premièrement, le jeune oiseau reconnaît et sélectionne en quelque sorte le chant de l’adulte à imiter. Il mémorise ce chant en l’imitant et en s’en approchant progressivement. Enfin le chant se confirme dans sa forme adulte. Ce qui ne veut pas dire que son chant sera une copie figée de celui de l’adulte imité. Chaque oiseau introduira des variations personnelles qui permettront de l’identifier, en tant que membre d’une espèce particulière et comme individu.
L’organisation du chant
Avant l’invention de moyens techniques capables d’enregistrer et d’analyser le chant des oiseaux, les ornithologues étaient obligés de se fier à leurs oreilles et à leur intuition. Or, la cadence des notes d’un chant d’oiseau est trop rapide pour être correctement analysée par l’oreille humain. Ce n’est qu’à partir des années 1950 qu’on a pu avoir une vision exacte de la « syntaxe » des chants, grâce à l’utilisation du magnétophone et du sonographe par le chercheur américain W. H. Thorpe.[4]
Le figure 4 montre quelques exemples des premiers sonogrammes de Thorpe, comparés à deux tentatives de transcrire un chant sans assistance mécanique.
Ce sont trois analyses du chant d’un pinson des arbres. La première a été transcrite en notes musicales par le musicien français Olivier Messiaen. Le second est une tentative par l’ornithologue W. Garstang de capter le chant en mots anglais. La troisième comprend les sonogrammes de trois pinsons enregistrés par Thorpe. On voit comment le musicien tente de capter l’accélération du chant par l’utilisation de doubles croches, et la chute dans la phase 3 par des notes descendantes. Ce que le sonogramme montre, que ni les notes musicales, ni les mots ne peuvent saisir, ce sont les très rapides changements de fréquence et la durée des « notes ».

Figure 4. Trois versions du chant d’un pinson des arbres[5]
La « syntaxe » du chant
Contrairement aux cris, souvent constitués d’une seule unité sonore, les chants sont composés d’une succession d’unités sonores organisées suivant un certain ordre, comme on le voit dans les sonogrammes de la figure 4, avec les trois phases de notes. Cette organisation est hiérarchisée en notes, en « syllabes » (combinaison unique de 2 ou 3 notes systématiquement associées) et en « phrases » (combinaison de syllabes, répétée dans le chant). On peut donc parler d’une organisation « syntaxique » dont les règles de combinaison sont propres à chaque espèce.[6]
Est-ce que pour autant une « phrase » chez l’oiseau correspond à une phrase du langage humain ? Est-ce que les « syllabes » individuelles ont un sens ? Selon Hartshorne (1973)[7] il serait probablement plus juste de comparer le chant des oiseaux à la musique qu’au langage humain. Le chant permet à l’oiseau de s’identifier, d’annoncer sa présence dans son territoire et d’attirer les femelles pendant la période de reproduction et bien sûr, de repousser d’autres mâles de son espèce.
Le chant dans son ensemble constitue en quelque sorte un « code » pour permettre à un oiseau d’être reconnu acoustiquement. De ce fait, le chant d’un oiseau de l’espèce X n’induira pas de réactions d’oiseaux des espèces Y ou Z. Si parler de « notes », de « syllabes » et de « phrases » est un moyen commode pour l’analyste humain de comprendre l’enchainement complexe de sons émis, ils n’ont pas de « sens » pris individuellement.
Par exemple, l’alouette des champs possède l’un des chants les plus complexes, avec un nombre de syllabes différentes qui peut atteindre plus de trois cents.

Figure 5. L’alouette des champs
Cependant, Thierry Aubin et ses collègues ont pu montrer, par des expériences de diffusion, que :
« Le codage spécifique chez cette espèce reposait uniquement sur un rythme son/silence particulier et non sur la nature des syllabes et leur syntaxe. Par exemple, si l’on remplace chaque note d’alouette par une note de troglodyte de même durée, le chant sera malgré tout reconnu en tant que chant de l’espèce par l’alouette et déclenchera des réactions territoriales aussi intenses qu’un chant spécifique, simplement parce que le rythme son-silence a été respecté. » (p. 14)
Conclusion
Le monde des oiseaux est fascinant et provoque d’infinies spéculations sur l’organisation et le sens de leurs chants. On a parfois tenté de les comparer au langage humain, mais la grande majorité des études montrent qu’il ne s’agit pas de langage au sens humain du terme.
[1] Gailly, « Communication acoustique et chants des oiseau, simplicité et complexité : un compromis », Cahiers d’Éthologie appliquée, 1984, 4 (1), p. 83.
[2] « Déchiffrer les secrets de la communication ancestrale des oiseaux : Une exploration de leur langue ». https://www.birdsandbee.fr/dechiffrer-les-secrets-de-la-communication-ancestrale-des-oiseaux-une-exploration-de-leur-langue/
[3] « Le chant des oiseaux : un mode de communication sophistiqué », Thierry Aubin, Fanny Rybak et Hélène Courvoisier, Acoustique et Techniques, n° 61, 12-15. https://www.bruit.fr/revues/78_13191.PDF
[4] Thorpe, W. The Process of Song-Learning in the Chaffinch as Studied by Means of the Sound Spectrograph. Nature 173, 465–469 (1954). https://doi.org/10.1038/173465a0
[5] Pour écouter le chant du pinson des arbres, qui correspond à ces graphiques, cliquez sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=hcM7V7PS6rI.
[7] Born to Sing: An Interpretation and World Survey of Bird Song, Charles Hartshorne, Indiana U.P. 1973.
D’autres vidéos intéressantes pour écouter les oiseaux:
https://www.wildlife-sound.org/resources/sonograms
http://www.birdsongs.it/songs/songspectro.asp
https://www.fssbirding.org.uk/sonagrams.htm
https://nas-national-prod.s3.amazonaws.com/BLCACH_1.song_NYle_1.mp3?uuid=591347c6d58f2
https://www.youtube.com/watch?v=664Io8aGEoQ (30 oiseaux de France)

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